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Communauté locale Montierneuf
10 avril 2020

Meditation de Jean-Baptiste pour le jeudi Saint

« Comprenez-vous ce que je vous ai fait ? »

Jn 13, 12.

Voilà une question pertinente que Jésus nous pose le jeudi saint. Une question embarrassante à laquelle nous avons tendance à répondre par oui, même si au fond de nous, nous n’avons toujours pas bien compris la signification du geste du lavement des pieds. L’humilité du service est la réponse que nous donnons à cette question, mais c'est une réponse trop facile.

Chaque année, le journal télévisé présente le rituel catholique du jeudi saint, le Pape, les évêques et les prêtres lavent les pieds de quelques personnes. Mais nous nous demandons pourquoi ce rite ne revient qu’une seule fois dans l’année. Ce geste du lavement des pieds est suivi de l’ordre : « Si donc je vous ai lavé les pieds, moi le Seigneur et le Maître, vous aussi vous devez vous laver les pieds les uns aux autres. Car c’est un modèle que je vous ai donné, pour que vous fassiez, vous aussi, comme moi j’ai fait pour vous ». Jn 13,14-15.

Et pourtant, il y a d’autres ordres de Jésus qui reviennent plusieurs fois dans l’année. Par exemple sur l’Eucharistie : « Prenez et mangez, ceci est mon corps livré pour vous (Mt 26,26) ; et sur le Baptême : « Allez donc, de toutes les nations faites des disciples, les baptiser au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit » (Mt 28, 19). Mais encore, pourquoi le geste du lavement des pieds est rare ?

La rareté du geste est dû à son caractère de réciprocité, avec une alternance des rôles : le lavant et le lavé. Les rôles sont inversés comme une manière d’obéir à l’ordre de Jésus (Jn 13, 14-15).  Celui qui lave doit en même temps être celui qui est lavé. Souvent, nous choisissons le rôle qui nous procure satisfaction personnelle, et non celle de l’autre. Les rôles sont souvent unilatéraux. Et quand un rôle devient unilatéral, il devient un droit, et comme droit, il implique l’idée d’obligation et du devoir.  Or l’évangile n’est pas dans le droit et le devoir, il relève du don. 

Le lavement des pieds de ce soir nous rappelle la querelle entre deux frères Esaü et Jacob. En effet, Rebecca leur maman devint la mère de la seconde paire de deux jumeaux de l’Écriture après Caïn et Abel. Ce dramatique précédent va sans doute influer sur le destin conflictuel des deux enfants qui se heurtaient en elle (Gn 25,26), si bien qu’elle se désespère de porter des frères ennemis qui se comporteront peut-être comme Caïn vis-à-vis d’Abel. Ella va consulter Yahvé qui lui dira cet oracle : « Il y a deux nations en ton sein, deux peuples issus de toi se sépareront, un peuple dominera sur un autre, l’ainé servira le cadet ».  Il est étonnant que Dieu fasse une telle révélation à Rebecca et non pas à Isaac. Mais comment l’ainé pourrait-il servir le cadet ? C’est contre l’ordre des choses, c’est le monde à l’envers : le droit d’aînesse est désormais brisé.  Dès la naissance, les jeux semblent être faits. Le premier qui sort du ventre de Rebecca est Esaü, roux tout entier comme un manteau de poils. Ensuite, son frère sort du ventre, mais de sa main, il a empoigné le talon d’Esaü. Il reçoit le nom de Jacob, Ya’aqob en hébreu, dérivé du mot aqeb qu’on traduit par talon et qui a la même racine qu’aqab, qui signifie supplanteur-né, qui obéit à l’oracle « l’aîné servira le cadet ».

Dans la suite, l’histoire nous dira que Jacob obligera son frère Esaü à lui vendre son droit d’aînesse pour pouvoir manger la soupe préparée par son jeune frère. Esaü déposera donc son habit d’aînesse, et désormais, c’est Jacob qui commandera en maître. Le cadet désormais devient l’aîné.  De la même manière que Caïn, le premier sédentaire qui représentait le pouvoir, de la même manière le droit d’aînesse d’Esaü à l’héritage et aux services rendus par les autres.  Jacob, par son astuce, a brisé la culture sémitique selon laquelle « le cadet servira l’aîné » en la remplaçant par « l’aîné servira le cadet ».

Mais pourquoi Jésus lave les pieds et non la tête ? La symbolique des pieds est très importante chez Saint Jean : les pieds désignent, comme la marche en général, le comportement : la halakha, c'est ce qu'on appelle la morale ou le comportement.  En hébreu, halakh c'est marcher. Marcher, c’est piétiner, c’est aussi s’appuyer sur le talon (Jacob).  Jésus, en lavant les pieds de ses disciples, veut les faire passer d’Esaü à Jacob, du droit à la gratuité, de l’amour d’être servi à l’amour de servir. Il réalise donc une révolution : ce que nous croyions être notre droit devient notre ministère de servir.

Jésus dépose son vêtement. Pour nous, un vêtement, c'est quelque chose qui s'ajoute par-dessus : le corps c'est l'essentiel, et le vêtement est secondaire. Or il y a un vieux texte gnostique du IIe siècle qui dit ceci : « Chez nous le corps est plus important que le vêtement, mais dans l'Évangile le vêtement est plus important que le corps » : En ce monde, ceux qui portent les vêtements sont supérieurs aux vêtements, dans le royaume des cieux, les vêtements sont supérieurs à ceux qui les portent.  Le vêtement c'est la désignation de la posture intime, c'est la manifestation extérieure de la posture. Or nous avons dit que ce qui permettait d'identifier, ce n'était pas la permanence d'un corps, c'était la posture. L'homme n'est pas pensé à partir de l'idée de nature, mais à partir de l'idée de posture, d'où l'importance de cette symbolique. Nous comprenons pourquoi Saint Paul dit : « Vous avez revêtu le Christ » (Ga 3, 27).

La gestuelle de Jésus consiste à déposer son vêtement, cela veut dire, à laisser de côté le privilège qui l’égalait à Dieu, se met en service (Ph 2,6). Déposer son habit, c’est accepter d’abandonner, voire lâcher ses privilèges et son droit.  Et c’est en se mettant en service, qu’il reprendra sa vie. Il est le Bon Pasteur qui a le pouvoir de déposer sa vie et de la reprendre (Jn 10,19).   Nous comprenons alors pourquoi le Christ est à la fois agneau de Dieu et berger. Le bon berger est celui qui est appelé par le Baptiste : « l'agneau de Dieu ». (Jn 1,29). Normalement, ce sont les brebis qui donnent leur vie et permettent au berger de vivre.  Le Berger est heureux de se nourrir de la viande et du lait des brebis. Mais ici, c'est le berger qui donne sa vie pour ses brebis qui fait vivre les brebis en devenant lui-même pâturage (Jn 10,11).

Le sacerdoce, c’est le lavement des pieds des autres, et en lavant les pieds, en donnant sa vie pour le peuple pour lequel on est ordonné prêtre.

Jean-Baptiste Bondele, SMM

Jeudi 9 – vendredi 10 avril 2020

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